Transferts culturels et littérature belge de langue française
Colloque international coorganisé par les AML et l’Université de Liège, au Palais des Beaux-Arts de Charleroi, les 5-7 novembre 2025. APPEL A COMMUNICATIONS.
En tant que notion et domaine d’étude formalisés dans les années 1980, on entend par transferts culturels la manière dont les cultures appréhendent des textes, des formes, des valeurs, des modes de pensées et des comportements étrangers, et les intègrent dans leurs productions (Espagne & Werner, 1988). À rebours de tout essentialisme, donc, les transferts culturels partent du principe que tout espace culturel est « le résultat de déplacements antérieurs » et « d’hybridations successives » (Espagne, 2013), ce qui implique que leur étude revient à mettre l’accent sur « la valorisation des transformations qui adviennent lors de la circulation internationale des idées et des œuvres » (Ehrardt, 2017).
En ce sens, les derniers travaux sur la notion de transferts culturels envisagent désormais la possibilité de « penser à la fois l’affirmation et la dissolution des cultures » à travers la variabilité intrinsèque au champ culturel, « en constante restructuration » (ibid.). C’est en ceci que les transferts culturels ne peuvent pas être considérés sous l’angle d’une théorie unifiée, réconciliatrice, pas plus que sous l’angle d’une volonté homogène (Gonne, Roland & Vanasten, 2022) : ceux-ci résultent le plus souvent de circonstances hasardeuses et révèlent souvent l’hétérogénéité, voire l’agonistique des relations interculturelles. Observer et interpréter les transferts culturels en tant que singularités permet néanmoins de revenir vers le global et les configurations transnationales. Cette notion vient donc en complément du comparatisme, en se concentrant moins sur des constructions a posteriori que sur les processus d’appropriation et de rejet qui déterminent les évolutions culturelles.
Dans le cas de la très hétérogène Belgique, dont l’Histoire s’est forgée, dans les siècles qui précèdent l’indépendance du pays, au contact rapproché de grandes puissances impériales, le terreau était d’emblée fertile. La multiplicité des langues qui y sont parlées (dont aucune n’appartient en propre au pays), son cosmopolitisme marchand puis politique, l’immigration soutenue qui en change continuellement le visage, son libéralisme socioculturel ou plus récemment son fédéralisme et la position centrale de Bruxelles en Europe sont autant de facteurs qui ont favorisé les transferts culturels au sein du petit royaume officiellement né en 1830. La Belgique s’avère donc un exemple particulièrement riche, dans la mesure où l’homogénéité culturelle – toujours illusoire – n’y a jamais été revendiquée, en dépit de ce que certaines tendances politiques qui se sont multipliées en Europe et ailleurs ces vingt dernières années cherchent à nous faire croire.
Ainsi que le montre indirectement son historiographie (Berg & Halen, 2000 ; Klinkenberg & Denis, 2005 ; Quaghebeur, 2015-2022 ; Durand & Habrand, 2018), la littérature francophone de Belgique constitue dès lors un terrain privilégié pour l’étude des transferts culturels. Ceux-ci se manifestent à travers la coexistence de traditions et de cultures diverses au sein de la Belgique, son aspect cosmopolite et multilingue, l’influence des mouvements migratoires dans et hors du pays, les passages interculturels, ainsi que l’importance qui y est donnée à la traduction, au sens du compromis et à la diplomatie. À ceci s’ajoute le fait que le pays s’avère être une plaque tournante au sein du paysage européen, ce qu’a renforcé sa place au sein de l’Union européenne depuis les années 1950, facteur d’accélération des mutations politiques et culturelles contemporaines (Altmanova, Meurée & Petrillo, 2021). En découle un réservoir imaginaire qui préexiste à l’indépendance du pays et évolue avec le temps, dans lequel puisent abondamment les écrivains, comme en témoigne notamment la place du XVIe siècle espagnol ou la prédominance des deux guerres mondiales dans la production littéraire belge francophone. Par ailleurs, de nombreux écrivains belges ont joué ou jouent encore un rôle capital sur la scène internationale : Émile Verhaeren, Maurice Maeterlinck, Franz Hellens, Michel de Ghelderode, Henri Michaux, Georges Simenon, Suzanne Lilar, Henry Bauchau, Dominique Rolin, Christian Dotremont, Claire Lejeune, Jean-Philippe Toussaint, Amélie Nothomb.
Dans le cas belge francophone comme ailleurs, l’étude des transferts culturels se doit d’adopter une perspective dynamique et souple, dans laquelle le critère d’authenticité ou la hiérarchisation esthétique ne peuvent pas constituer des catégories herméneutiques, sinon à être interrogées à travers le filtre de la relation transférentielle. En ce sens, le colloque se déclinera selon quatre axes :
- La traduction, en tant qu’opération linguistique et culturelle, sur laquelle s’appuie la circulation des productions littéraires. À la suite d’Yves Chevrel, on peut affirmer que « les traductions font partie du patrimoine du pays qui les réalise » (2019). Dans ce sens, les traductions influencent la production littéraire nationale, formant une mosaïque multilingue. Le but de cet axe sera notamment de faire interagir histoire et traduction pour reconstruire les circonstances historiques spécifiques dans lesquelles les « translation agents » ont produit une « meaningful history », comme l’a suggéré Christopher Rundle (2012).
- L’interculturel, qui se fonde sur la réciprocité dans les échanges, la complexité dans les relations entre cultures, la circulation des modèles et leur co-construction entre deux aires culturelles (ou davantage).
- L’intertextualité et l’intermédialité, qui mettent au jour la formation des constellations qui forgent les œuvres et montrent, souvent à travers des approches interdisciplinaires, que la littérature n’est pas autosuffisante mais se nourrit d’emprunts comme d’autres médiums qui en transforment la nature.
- La réception et la médiation, qui débordent les approches traditionnelles de la réception et concernent les échanges et les influences étrangères selon une triple perspective : a) le processus de sélection ; b) les figures et les opérateurs (institutionnels) de médiation ; c) les formes de réception ou d’appropriation. Car ce sont les protagonistes de la scène littéraire nationale qui sélectionnent et consacrent les auteurs belges à l’étranger. Ils opèrent en tant que traducteurs, critiques, historiens de la littérature ou encore en guise de conseillers auprès des maisons d’édition et des directeurs de collection.
Les propositions de communication (maximum 150 mots) sont à envoyer conjointement à Laurence Boudart (colloque@aml-cfwb.be) et à Thea Rimini (thea.rimini@uliege.be) pour le 7 avril 2025.
Comité d’organisation
Laurent Demoulin, Université de Liège
Élise Deschambre, Archives et Musée de la Littérature
Clément Dessy, Université Libre de Bruxelles
Éloïse Grommerch, Université de Liège
Tanguy Habrand, Archives et Musée de la Littérature /Université de Liège
Letizia Imola, Université de Liège/Université de Mons
Céline Letawe, Université de Liège
Marie Noble, Palais des Beaux-Arts, Charleroi
Gérald Purnelle, Université de Liège
Hubert Roland, Université Catholique de Louvain
Pascal Verhulst, Ville de Charleroi
Comité scientifique
Chiara Elefante, Università di Bologna
Maud Gonne, Université de Liège
Catherine Gravet, Université de Mons
Petra James, Université Libre de Bruxelles
David Martens, KULeuven
Reine Meylaerts, KULeuven
Maria Elena Minuto, Université de Liège/RHUL
Maria Giovanna Petrillo, Università Parthenope (Napoli)
Tiphaine Samoyault, EHESS (Paris)
Joanna Teklik, Uniwersytet Im. Adama Mickiewicza (Poznań)
Stephanie Vanasten, Université Catholique de Louvain
Bibliographie indicative
Jana Altmanova, Christophe Meurée et Maria Giovanna Petrillo, dir., « Nouveaux paradigmes linguistiques dans la littérature belge francophone (de 1989 à aujourd’hui) », Annali – sezione romanza, vol. LXIII, n° 2, décembre 2021 (en ligne : http://www.serena.unina.it/index.php/aionromanza/issue/view/681/661).
Margareth Amatulli et Christophe Meurée, dir., « Jean-Philippe Toussaint et l’Italie », mediAzioni, n° 45, 2024 (en ligne : https://mediazioni.unibo.it/issue/view/1341).
Bernard Banoun, Yves Chevrel, Isabelle Poulin, dir., Histoire des traductions en langue française : XXe siècle, Paris, Verdier, 2019.
Laurent Béghin et Hubert Roland, dir., « Les passeurs », Textyles, n° 45, 2014.
Christian Berg et Pierre Halen, dir., Littératures belges de langue française. Histoire et perspectives (1830-2000), Bruxelles, Le Cri, 2000.
Claude Canet, Introduction aux approches interculturelles et en sciences humaines, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1993.
Yves Chevrel, « Avant-propos », in Bernard Banoun, Isabelle Poulin et Yves Chevrel, dir., Histoire des traductions en langue française XXe siècle, Lagrasse, Verdier, 2019.
Antoine Compagnon, La Seconde Main ou le travail de la citation [1979], Paris, Seuil, « Points essais », 2016.
Béatrice Costa et Catherine Gravet, dir., Traduire la littérature belge francophone : itinéraires des œuvres et des personnes, Mons, Presses de l’Université de Mons, 2016.
Pascal Durand et Tanguy Habrand, Histoire de l’édition en Belgique francophone (XVe-XXIe siècle), Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2018.
Damien Ehrhardt, « Après l’élargissement des transferts culturels : les transfer studies comme renouvellement des études aréales », in Diogène, n° 258-260, juin-décembre 2017, pp. 209-220.
Michel Espagne, Les Transferts culturels franco-allemands, Paris, PUF, « Perspectives germaniques », 1999.
Michel Espagne, « La notion de transfert culturel », in Revue Sciences / Lettres, n° 1, 2013, § 7.
Michel Espagne et Michael Werner, Transferts : les relations interculturelles dans l’espace franco-allemand (XVIIIe-XIXe siècle), Paris, Éditions Recherches sur les civilisations, 1988.
Maud Gonne, Klaartje Merrigan, Reine Meylaerts, Heleen van Gerwen, Transfer Thinking in Translation Studies. Playing with the Black Box of Cultural Transfer, Leuven, Leuven University Press, 2020.
Maud Gonne, Hubert Roland et Stéphanie Vanasten, « Introduction : à propos des paradoxes, échecs et malentendus dans les transferts culturels », in Interférences littéraires / Literaire interferenties, n° 26, 2022, pp. 1-23 (en ligne : https://www.interferenceslitteraires.be/index.php/illi/article/view/1168).
Catherine Gravet, dir., Traducteurs et traductrices belges, Mons, Presses de l’Université de Mons, 2013.
Catherine Gravet et Katrien Lievois, dir., « La littérature belge francophone en traduction », in Parallèles, vol. 32, n°1, 2020.
Catherine Gravet et Katrien Lievois, dir., Vous avez dit littérature belge francophone ? Le défi de la traduction, Bruxelles-Berne, PIE-Peter Lang, 2021.
History and Translation Network (en ligne : https://historyandtranslation.net/).
Béatrice Joyeux, « Les transferts culturels. Un discours de la méthode », in Hypothèses, 2003/1, n°6, pp. 149-162.
Jean-Marie Klinkenberg et Benoît Denis, La Littérature belge. Précis d’histoire sociale, Bruxelles, Labor, « Espace Nord », 2005.
Hans-Joachim Lope et Hubert Roland, « Une Europe en miniature ? », Textyles, n° 24, 2004.
Hans-Jürgen Lüsebrink, « Les transferts culturels : théorie, méthodes d’approche, questionnements », in Pascal Gin, Nicolas Goyer et Walter Moser, dir., Transfert. Exploration d’un champ conceptuel, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2014, pp. 25-48 (en ligne : https://books.openedition.org/uop/438).
Maria Elena Minuto, “Material and Visual Poetics: The Italian and Belgian Neo-Avant-Garde Art of Publishing”, in Aurélien Bernard, Mica Gherghescu et Thorel, dir., Publications d’artistes : de l’atelier à la bibliothèque et vice-versa, Benjamin Paris, Éditions de la BK-Centre Pompidou, 2019, pp. 239-260.
Bieke Nouws et Reine Meylaerts, « La nécessité des traductions. Translating legislation in a young parliamentary regime. The case of Belgium (1830–1895) », in International Journal of the Sociology of Language, n° 251, 2018, pp. 111-130.
Marc Quaghebeur, Histoire, forme et sens en littérature. La Belgique francophone, Bruxelles-Berne, PIE – Peter Lang, 2015-2022, 3 t.
Marc Quaghebeur et Nicole Savy, dir., France-Belgique (1848-1914). Affinités-ambiguïtés, Bruxelles, Labor, « Archives du futur », 1997.
Thea Rimini, « Tra storia e traduzione: Aldo Capasso e gli scrittori belgi », in RiTra, n°1, 2023, pp. 50-71 (en ligne : https://ojs.unito.it/index.php/ritra/article/view/8319).
Hubert Roland et Stéphanie Vanasten, dir., Les Nouvelles Voies du comparatisme, Gand, Academia Press, 2010.
Christopher Rundle, « Translation as an approach to history », in Translation Studies, 5, n°2, 2012, pp. 232-240.
Judith Schlanger, La Mémoire des œuvres [1992], Paris, Verdier, « Poche », 2008.
Stéphanie Vanasten et Matthieu Sergier, dir., Literaire belgitude littéraire. Beelden en bruggen, vues du Nord, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2011.
Jean-Charles Vegliante, La Traduction-migration. Déplacements et transferts culturels Italie-France, XIXe-XXe siècles, Paris, L’Harmattan, 2000.
Bernard Vouilloux, Figures de la pensée. De l’art à la littérature et retour, Paris, Hermann, 2015.