Archives au présent : Kenan Görgün



Dans le cadre de la campagne @lisezvouslebelge, le cycle Archives au présent met en lumière des écrivains et écrivaines qui ont choisi de confier leurs archives aux Archives et Musée de la Littérature. À travers quatre questions, ils et elles témoignent de ce geste de transmission : faire de la mémoire individuelle une part vivante du patrimoine littéraire collectif, et montrer comment les archives nourrissent, aujourd’hui encore, la création et la lecture.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de confier vos archives : le désir de laisser une trace, de transmettre, ou autre chose encore ?
Le désir de conserver mon travail, mes manuscrits, mes abondants cahiers de notes, de schémas, de réflexions, qui sollicitent une grande énergie de ma part avant chaque roman ou presque et sont de beaux exemples des méthodes de travail que j’ai développées au fil du temps. Ce sont en tout des milliers de pages, écrites à la main et/ou encodées, qui sont les coulisses de mon aventure littéraire. Désir de conserver, de pouvoir les mettre aussi à disposition de quiconque serait curieux de mon travail, à titre personnel ou dans un but d’études et de recherches. Notre époque rend notre patrimoine littéraire plus fragile, plus vulnérable que jamais. Tout ce que nous avons écrit pourrait disparaître, sombrer dans l’agitation des temps virtuels. Confier mes archives à vos compétences, c’est selon moi l’une des premières et meilleures réponses à donner à cette vulnérabilité.
Quels types de documents allez-vous confier aux AML, et comment avez-vous choisi ce qui devait y figurer ? *
Des manuscrits définitifs, sous forme de fichiers et de copies papier ; mes grands cahiers et dossiers préparatoires : avant chaque roman, l’aventure commence plus tôt, parfois bien plus tôt, par une abondante écriture de préparation, de réflexion, de recherche, où je creuse les sujets, les thèmes, les fils narratifs, les partis-pris formels, où je brosse également le portrait parfois très exhaustif de chaque personnage – de nombreux tableaux accompagnent ces cahiers ; mes ressources visuelles, les photos que je prends régulièrement durant ces phases précédant l’écriture.
*Les archives de Kenan Görgün sont sur le point d’entrer aux AML.
Si vous deviez placer une seule pièce de vos archives dans une capsule temporelle qui serait rouverte dans cent ans, laquelle choisiriez-vous ?
Le manuscrit original, écrit à la main donc, de mon roman Fosse Commune. Ça reste, encore maintenant, l’un des objets les plus singuliers et fascinants de ma production littéraire, exemple parfait du gouffre qui peut séparer le texte original du livre fini.
Que signifie pour vous l’acte de déposer vos archives dans une institution œuvrant à la mémoire des lettres francophones belges telle que les AML ?
C’est pour moi un geste très significatif, et symbolique. C’est inscrire mon travail dans le cadre plus large d’une histoire littéraire nationale. Natif flamand de Gand, enfant d’immigrés turcs analphabètes, il n’est pas anodin pour moi d’être devenu écrivain, et encore moins de songer que mes livres resteront là dans les pages plus vastes de la littérature de ce pays.
Kenan Görgün, écrivain, scénariste et réalisateur belge d’origine turque né en 1977 à Gand, est autodidacte et écrit en français depuis la fin de l’adolescence, après une découverte tardive mais déterminante de la lecture. Il publie ses premiers livres au milieu des années 2000, notamment L’Enfer est à nous (Quadrature, 2005) et Mémoires d’un cendrier sale (poésie, 2006). Son œuvre romanesque comprend Fosse commune (Fayard, 2007), Patriot Act (First, 2009), Anatolia Rhapsody (Vents d’ailleurs, 2014), Le Second disciple (Les Arènes, 2019) et Oublie que je t’ai tuée (L’Atalante, 2024). Il travaille également pour le cinéma et la télévision comme scénariste (notamment 9 mm, 2008) et réalisateur, entre autres du court-métrage Yadel (2011). Son œuvre a été distinguée à plusieurs reprises, notamment par le prix Franz-Dewever pour L’Enfer est à nous, le prix Marcel-Thiry pour Delia on my mind et le prix littéraire du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour J’habite un pays fantôme.